«Je suis une miraculée»
Hawa N’Diaye est une figure très attachante du handball alsacien. À bientôt 30 ans, elle poursuit son tour d’Europe et va évoluer au Monténégro la saison prochaine, au ZRK Buducnost Podgorica.
Mais Hawa N’Diaye, internationale sénégalaise formée à l’ASPTT Strasbourg, c’est aussi un parcours atypique, marqué par des épreuves particulièrement douloureuses dont elle a chaque fois su se remettre pour poursuivre sa route.
En trois épisodes, handbelles.fr vous emmène à la rencontre d’une jeune femme à la détermination sans faille.
Premier épisode: L’enfance et la découverte du jeu (à lire en cliquant ici)
Deuxième épisode: Les épreuves et les rebonds
Troisième épisode: La vie de handballeuse

La force d’un caractère
Jusque-là, la trajectoire d’Hawa N’Diaye semblait parfaite. Des progrès rapides, un horizon prometteur, un destin en construction.
Mais en 2010 arrive une épreuve pas comme les autres. Elle a 14 ans, c’est l’été, elle part s’amuser avec ses “cousines” à la Foire Saint-Jean de Strasbourg. Et tout bascule.
«La douleur était telle
que je ne peux même pas l’expliquer»
«On s’installe sur un manège “Shaker Dance” que l’on avait déjà fait X fois, mais là mon pied est resté coincé à l’extérieur de la barrière de sécurité. À intervalle régulier, il venait taper contre une plaque en métal. On a crié, mais sur un manège tout le monde le fait et personne ne s’est rendu compte de ce qu’il se passait.
J’arrive à en parler tranquillement maintenant, mais ma cousine Sira qui était avec moi est encore traumatisée aujourd’hui, bien plus que moi par cette histoire.
La douleur était telle que je ne peux même pas l’expliquer, à un moment donné j’ai arrêté de hurler pour me concentrer uniquement sur les seules choses que je pouvais maîtriser. J’ai essayé de me refermer sur moi, de retrouver un certain calme, de juste penser à ma respiration et d’attendre la fin.»
«Si tout avait duré trente secondes de plus,
je perdais ma jambe»
Le bilan est grave, double fracture ouverte tibia-péroné, mais aurait pu l’être bien davantage encore.
«Je voulais regarder ma jambe au moins une fois pour me rendre compte. Et là, je vois mon tibia coupé en deux, ma jambe qui pend ne tenant que grâce à un bout de chair, du sang partout. Je pense que si tout avait duré trente secondes de plus, je perdais ma jambe.
Les secours sont arrivés vite, mon premier réflexe était de demander aux pompiers si je pouvais faire mon stage nat’, c’était ma première convocation, je tenais beaucoup à rejoindre l’équipe de France cet été-là.
Ils m’ont demandé si je pouvais bouger mes orteils et là j’ai eu peur, en prenant mon temps j’y suis arrivée, mais dans l’ambulance mon pied a commencé à devenir froid. J’ai été opérée en urgence, juste avant on m’a parlé d’amputation, mes parents étaient paniqués.
Finalement, on a placé des broches d’enfant pour soutenir les os, elles n’étaient pas assez costaudes. J’ai passé trois mois sur une chaise roulante avant une deuxième opération, cette fois en mettant un clou dans mon tibia que j’ai d’ailleurs toujours. J’ai pu remarcher tout de suite. La médecine c’est vraiment quelque chose…»
«J’ai dû réapprendre à marcher, à courir, à sauter»
Hawa N’Diaye a fêté ses 14 ans à l’hôpital de Hautepierre («Je n’ai jamais eu autant de cadeaux de toute ma vie», rigole-t-elle), là où elle est née, là où elle va revivre. Car si elle devra oublier son stage national, elle a vite retrouvé ses facultés.
«J’ai dû réapprendre à marcher, à courir, à sauter. J’ai fait ma rééducation avec Julien (Kamm), j’étais très disciplinée, huit mois après mon accident, j’ai rejoué.
J’ai surtout eu la chance d’avoir été très bien entourée par ma famille, le Pôle, l’ASPTT. Franchement, c’était incroyable, exceptionnel même.»

Mais cette épreuve a forcément transformé en profondeur Hawa N’Diaye.
«Je sais que je reviens de loin. Je pense que je suis une miraculée. Vraiment. Je suis très croyante, ma mère me disait que Dieu ne te met pas face à des épreuves que tu ne peux pas surmonter et elle avait raison.
«Quand je regarde mes cicatrises,
je me rends compte que je reviens de loin»
Mes jambes sont assez moches, mais j’arrive encore à jouer, c’est pourtant ma jambe d’appui, la gauche, qui a été touchée. Oui, quand je regarde mes cicatrises, je me rends compte que je reviens de loin. Mais elles sont aussi ma force. Je n’en ai pas honte, je ne fais pas de complexe, elles font partie de moi, c’est mon histoire.»
Avec une foi en son destin décuplée, Hawa N’Diaye travaille, se bagarre chaque jour pour revenir à son niveau, pour rattraper son retard aussi et reprendre le fil de sa progression. Mais un an plus tard, tout s’arrête de nouveau.
«Quand tu es sur le côté, les autres avancent»
«C’était à Hoenheim avec l’ASPTT, je pars en contre toute seule, je me tords la cheville, mais c’est mon genou droit qui cède, rupture des ligaments croisés. Ça, c’était un vrai coup dur. J’avais beaucoup trimé pour revenir. Quand tu es sur le côté, les autres avancent, surtout à ces âges-là, je savais que je prenais du retard, qu’il fallait travailler encore plus.
Malgré tout, ils m’ont gardé au Pôle, “Fred” (Demangeon) m’a dit: “On est ensemble”. Le Docteur Lutz, un des meilleurs, m’a opérée, je suis revenue sept ou huit mois après.
Sur les quatre années passées au Pôle, j’ai été blessée deux ans et je n’ai disputé qu’une fois les Interpôles, mais au final, j’ai trouvé un centre de formation.»

À 17 ans, elle va prendre la direction du Havre grâce à Fabrice Bertrand qui avait décelé en elle des qualités de compétitrice hors pair.
«Jusqu’à aujourd’hui, c’était une de mes plus belles années. J’ai rencontré des personnes extraordinaires, de vrais gens, j’ai passé mon Bac aussi. Il n’y avait que treize joueuses pro dans l’effectif et la quatorzième c’était souvent moi. C’est un peu Aurélien (Duraffourg, l’actuel manager général du Strasbourg ATH était alors entraîneur du Havre) qui m’a lancée au plus haut niveau. Mais après, la situation s’est dégradée…»
«On se battait pour avoir nos noms de famille sur le maillot, pour chercher cette reconnaissance»
Le club normand est alors sur une pente descendante, Hawa va vite rebondir du côté de Metz où elle passera trois ans, deux au centre de formation, une en tant que stagiaire. C’est là aussi qu’elle obtiendra son BTS Banque.
«Cette fois, je voulais vraiment devenir pro, Yacine (Messaoudi, alors en charge du centre de formation messin) me voulait et je suis partie. C’est vraiment au Havre que j’ai découvert le haut niveau, mais à Metz, c’était encore plusieurs “steps” au-dessus. Il n’y a que de très bons formateurs, de la proximité, du respect.
Yacine était vraiment notre papa, on travaillait comme des dingues. On se battait pour avoir nos noms de famille sur le maillot, pour chercher cette reconnaissance, ce n’était pas un dû.»
«Là, je voulais vraiment arrêter à force de passer plus de temps chez le kiné que sur le terrain»
Au cours de sa première année à Metz, Jérémy Roussel, l’entraîneur de la D1, lui ouvre la porte, «j’ai même joué un peu à Györ» et la deuxième saison «pour confirmer» était attendue avec impatience.
«Mais le deuxième jour de la reprise, le jour de mon anniversaire aussi, je me refais les croisés. Là, c’était archi dur, plus dur que les autres blessures. Ce n’est jamais le bon moment pour se blesser, mais là encore moins, je ne pouvais même pas essayer de confirmer ma belle première année.
Là, je voulais vraiment arrêter à force de passer plus de temps chez le kiné que sur le terrain. Mais encore une fois, j’ai été très bien entourée, notamment par “Bébert”, le préparateur physique de Metz, qui m’a encouragée à tenir.»
Encore une fois, Hawa N’Diaye revient. Mais après «une saison blanche», l’horizon est bouché à Metz, Béatrice Edwige était arrivée, le poste était occupé. On est en 2017.
«C’est le moment où il fallait signer pro et j’ai trouvé très tard. Fin avril, Chambray m’appelle et là on peut dire que ma carrière commence…»
À suivre…
