Et “Fred” Forgues a remonté le temps…
Il s’est passé une drôle d’histoire la semaine dernière au Strasbourg ATH. À 38 ans, Frédérique Forgues, l’ancienne gardienne de but emblématique du club, est sortie de sa retraite pour aider son club de toujours et remporter une ultime victoire en Nationale 1 avec l’équipe réserve des “Piraths” à Besançon.
«Évidemment, j’ai d’abord cru à une blague…»
Le 28 mai 2016, “Fred” Forgues avait tourné la page, choisi de ranger les baskets spéciales hand après une magnifique carrière, des sélections en équipe de France chez les jeunes, de riches aventures avec son club de toujours où elle a évolué jusqu’en Division 2.
Alors forcément, quand 9 ans plus tard, un jour de mai 2025, un étrange coup de fil est arrivé, la tentation était grande de croire à une plaisanterie.
«“JP” (Jean-Philippe Mall, le coach du SATH II) m’a appelé deux fois, je n’avais pas son numéro en mémoire, je n’ai pas décroché, raconte-t-elle avec bonne humeur. Ensuite, il a laissé un message, s’est présenté en disant qu’il appelait sur les conseils d’Aurélien (Duraffourg). Et il m’a expliqué la situation…»
«Le SATH restera toujours mon club,
je ne pouvais pas les laisser comme ça»
Un enchaînement de blessures et de circonstances ont fait qu’il n’y avait aucune gardienne de but disponible pour jouer le dernier match à Besançon avec l’équipe réserve des “Piraths”. Aurélien Duraffourg, désormais manager général du club, mais auparavant entraîneur de l’ATH (Achenheim Truchtersheim Handball), n’a pas oublié son ancienne gardienne de but. Et l’idée a fait son chemin…
Mais, après tout ça, après avoir eu cette idée un peu folle, il a bien sûr fallu s’organiser. Et soigner l’intendance.
«Je ne pensais pas que c’était déjà pour ce samedi. C’était l’anniversaire de mon fils Timael, on devait le fêter en famille ce soir-là. Je me demandais comment l’annoncer à ma femme (Fanny Friry, ancienne joueuse de Reichstett et de l’ATH notamment), à mon fils… En plus, c’était à Besançon avec un départ à 16h. Les deux m’ont dit: “O.-k., vas-y” et j’ai répondu à “JP”. Le SATH restera toujours mon club, je ne pouvais pas les laisser comme ça…»
«J’ai été surprise par la quantité de colle
sur les ballons»
Sapeur-pompier professionnelle, sergent-chef à la caserne Nord de Strasbourg, Frédérique Forgues n’est plus handballeuse depuis longtemps. Mais la condition physique a toujours été travaillée, le corps toujours soigné, la forme toujours entretenue.
«Mais je voulais venir m’entraîner avant pour retrouver quelques sensations et j’ai participé aux séances jeudi et vendredi. Je joue au foot au boulot, souvent dans les cages, ce n’est bien sûr pas le même sport, mais ça m’a permis d’avoir encore quelques repères.»
L’expérience a néanmoins révélé quelques surprises.
«Le handball est un sport que j’ai pratiqué pendant plus de 15 ans à un niveau correct, ce sont des réflexes qui reviennent assez facilement finalement, mêmes si les parades en bas étaient plus difficiles.
Mais en revanche, j’ai été surprise par la quantité de colle sur les ballons, rigole-t-elle. Avec une balle qui colle à la main, c’est compliqué de faire juste une passe et pour les relances, je craignais de l’envoyer dans les pieds. Ça, c’est une sensation que j’avais oubliée, mais on s’adapte vite.»
Néanmoins, avant d’en arriver au match, il a encore fallu donner de sa personne.
«J’ai dû faire une licence avec Sophie Kaiser, passer une visite médicale qui s’est révélée plus compliquée que prévu. À un moment donné, mon médecin a haussé les sourcils en décelant quelque-chose d’inhabituel sur l’électrocardiogramme. J’en avais fait un au boulot il y a six mois, tout allait bien. Il a préféré se renseigner auprès d’un spécialiste et finalement c’était bon, j’ai eu mon certificat médical à temps.»
«J’ai opté pour le numéro 38,
comme mon âge»
Et “Fred” Forgues a pu poursuivre cette folle semaine jusqu’au samedi, jour du match. Jour concret de ce drôle de retour vers le futur. Accompagnée, de surcroît, par Sophie Marangé (à gauche sur la photo d’ouverture), son ancienne coéquipière et amie, entraîneure-adjointe de l’équipe. Un déplacement en mini-bus. Un tout nouveau maillot aussi.
«J’ai pu choisir, j’ai opté pour le numéro 38, comme mon âge, je me disais que ça faisait un clin d’œil sympa. Il est même floqué à mon nom. Les filles m’ont dit: “Waouh, mais tu as le même maillot que les pros en D1 !”, c’était drôle.»
Sur le vaste terrain du Palais des sports de Besançon, tout se passe d’une façon idéale. “Fred” Forgues enchaîne les parades (13) et les relances millimétrées, le SATH II (4e) s’est imposé (27-33) chez le deuxième du championnat.
«J’ai vite retrouvé mes sensations, mes repères dans l’espace, j’arrivais à me placer correctement aussi. Je me suis dit que si déjà tu loupes l’anniversaire de ton fils, fais-toi plaisir.
«Je me revoyais quelques années plus tôt,
avec les mêmes gestes»
Et pendant tout le match, je me suis bien éclaté, les filles ont assuré, sont parties au “combat”, après cinq ou dix minutes de jeu, la machine était lancée. J’ai fait quelques “pastis” aussi, quatre je crois, j’aimais bien faire ça plus jeune.
Pour moi, ce n’était que du plaisir, je me revoyais quelques années plus tôt, avec les mêmes gestes pour célébrer un but, les mêmes attitudes, la même communion.»
Car il reste à évoquer un sujet essentiel, celui de ses jeunes coéquipières qui, pour la plupart, ont moins de 20 ans. «Je connaissais juste Emma (Leleu), je l’avais entraînée en -11 ans en 2014, je crois. Elle n’en revenait pas que je me souvienne d’elle.» Les prénoms de tout le monde ont été vite mémorisés et “Fred” Forgues a savouré ce bain de jouvence.
«Les filles ont été aux petits soins pour moi»
«J’ai tout de suite ressenti la cohésion qu’il y a dans l’équipe, on a beaucoup discuté pour se connaître un peu mieux après les entraînements, pendant le déplacement aussi.
Je voulais d’abord leur parler avant le match dans le vestiaire pour leur dire que je n’avais pas beaucoup dormi la nuit dernière, pour leur dire que j’étais contente de vivre cette aventure avec elles, que j’avais l’impression de déjà faire partie du groupe. Mais ça ne s’est pas présenté et c’est peut-être mieux.
Les filles ont été aux petits soins pour moi, chacune individuellement est venue me remercier quinze fois. Mais moi aussi je leur ai dit merci, elles ont été hyper cool avec moi, m’ont tout de suite intégrée dans leur groupe.»
Dimanche dans la nuit, vers 3h du matin, “Fred” Forgues a retrouvé son foyer, a retrouvé Fanny, Timael (6 ans) et Maloé (3 ans). Quelques heures plus tard, elle a aussi retrouvé la quiétude en ouvrant ses cadeaux pour la Fête des mères, bien présente avec les siens. Une parenthèse enchantée venait de se refermer.
Lundi à la caserne Nord, le sergent-chef Frédérique Forgues est retourné au travail
«Je remercie “JP”, Sophie et toutes les filles avec un grand clin d’œil à Aurélien pour avoir pensé à moi. Ça m’a fait plaisir de pouvoir aider tout le monde et de participer un peu à cette victoire.
J’ai découvert une bonne bande de jeunes. Beaucoup de filles vont partir, nous avons bien profité de ce dernier match ensemble. Je souhaite une bonne continuation à chacune et que chacune parvienne à s’épanouir quel que soit son projet.»
Lundi à la caserne Nord, le sergent-chef Frédérique Forgues est retourné au travail, avec peut-être encore en tête quelques images de ce week-end en apesanteur.
Où “Fred”, la handballeuse, a remonté le temps. Et, qui sait, peut-être que tout cela lui aura donné quelques idées pour prolonger cet improbable et magnifique retour vers le futur…
Illustrations…



(Photo Joëlle Eisenmann)

(Photo Joëlle Eisenmann)




(Août 2013)


(Août 2014)

Le 28 mai 2016, “Fred” Forgues (à gauche) disputait son dernier match,
ici en compagnie d’Ilona Kieffer, de Fanny Friry et Marina Correia.